21 novembre 2007

Song-Ja


Qui m'avait adressé cette photo ?
Juin 1974, soit dix mois après la journée à Sorokdo (cf "Au commencement..." du 6 nov. 2007) je recevais cette photo accompagnée d'un courrier : c'était le jour de son baptême, elle avait choisi "Lucie" comme prénom chrétien ; son père, m'écrivait-on, était très malade, à l'article de la mort...
Mais pourquoi cette photo et ce courrier ?
Un des collègues de Jack avait dû remarquer pendant le pique-nique comment Song-Ja était particulièrement attentionnée à l'égard de son sauveteur du matin... et que je n'y étais pas insensible, dans la limite des 14 ans que je lui donnais.
Song-Ja, étais-tu à l'initiative de ce courrier ?
En tout cas, à Sorokdo, tu avais réussi à déchirer ma camisole de célibataire !
Si bien que, au printemps 1974, je venais de m'engager... avec quelqu'une de Sainte Foy-lès-Lyon. Nous allions nous marier en fin d'année. Il n'était pas question de papillonner. J'ai donc rangé la photo avec d'autres reliques dans une boîte à chaussures. Et je l'ai oubliée - la photo, pas Song-Ja : une journée au Paradis, ça vous marque pour la vie !
Un quart de siècle plus tard, nous quatre (c'est-à-dire mes trois fils nés Coréens et moi - madame ayant déserté entre-temps) posons nos valises à Velars, où je m'installe en prévision aussi d'une prochaine retraite.
Surprise ! Un carton de déménagement stocké et scotché depuis dix ans à Romenay délivre la boîte à chaussures et la photo oubliée.
Signe du Ciel ?
C'est l'année où la Corée est "Invitée d'honneur" à la Foire de Dijon. Occasion pour nous quatre d'aller y réveiller quelque chose. Mes trois fils en reviendront avec leur nom coréen calligraphié et un intérêt naissant pour leur pays d'origine. Germe l'idée d'aller voir là-bas...
Notre premier voyage a lieu dans l'été 2001 (les deux aînés et moi). J'avais pu auparavant retrouver la trace de Jack. Il est toujours à Séoul, où nous le rencontrons. Il fait la connaissance de mes fils et de leur histoire. Il m'explique où trouver l'auteur du courrier : à Gwacheon.
Métro, ligne 4. La chance me conduit jusqu'à lui. Il se souvient très bien de Song-Ja qui était au service de sa communauté à cette époque, et de l'épisode de Sorokdo :
Elle avait en fait, non pas 14, mais 19 ans (20 ans selon le compte coréen), me dit-il ; jeune fille intelligente et serviable, attentive et discrète, efficace... La perle dont nous rêvons tous !
Au début des années 80 elle est partie en Amérique "Mi-Guk", comme de nombreux jeunes Coréens à la peine dans leur pays. Elle s'est très probablement mariée là-bas.
Pardonne-moi, Song-Ja, de raconter ta vie !
Retour en France, des annuaires américains me donnent l'adresse d'une PYON Sung-Ja dans le Maryland. J'écris, en joignant une copie de la photo. Sans réponse.
C'est peut-être mieux ainsi.

Août 2004, les parents de Yuna me conduisent en pèlerinage à Sorokdo. Maintenant la plage sur l'île est populaire et très fréquentée ; un pont va bientôt remplacer les bateaux-navettes. L'endroit exact du pique-nique, le voici, les pins n'ont pas bougé, à peine plus gros. Aujourd'hui le ciel hésite entre vent, éclaircies et nuages, pas suffisant pour annoncer un typhon.
Assis à l'ombre du même pin, je cherche des yeux là-bas à gauche : des vagues verdâtres poussent une mousse douteuse sur le gravier. Des gamins crient en se lançant des touffes d'algues sales...
Song-Ja, pour te revoir, j'ai le choix :
Cette bouteille à la mer, ou croire au Paradis !