21 août 2013

YURI, YERI

 
Eté 2004. Hadong.
Ce dimanche soir, relâche à GeumSeongShikDang.
YunaAppa et Omma m'embarquent en voiture. D'office, sans beaucoup d'explication - c'est vrai que mon bagage linguistique coréen est bien léger, et le leur inexistant en français comme en anglais.

Nous arrivons à Goniang, chez les grands-parents maternels de Yuna, agriculteurs perdus au milieu des rizières. Pour un joyeux barbecue de pleine lune autour de la pêche miraculeuse de la journée par le beau-frère et autres consorts de YunaOmma, une vingtaine d'oncles, tantes et (petits)-cousins, âgés de un à soixante-quinze ans.

Problème : comment communiquer ? Ce serait dommage de ne faire que bouffer même si c'est délicieux !
Miracle : Il y a parmi tous ces gens une personne qui parle anglais, une seule ; au moins aussi bien que moi : Yuri, quatorze ans.
Nous échangeons énormément. Elle est mon interprète auprès de tous ces cousins de Yuna.
Autant que les délices de mer grillés, ces moments resteront de merveilleux souvenirs.

2010.
Yuri se rappelle à mon souvenir. Bien sûr que je me souviens !
Elle me demande de faire ami-amie sur Facebook. OK.
Puis dans la foulée, sa sœur, de trois ans sa cadette, Yeri. OK.
Elles deux sont à Singapour, où leur père les a envoyées pour en revenir parfaitement anglophones.

Printemps 2013.
Yuri m'écrit son projet de venir en France à l'été 2014, et de passer ainsi quelques jours ici. Avec son "fiancé". D'accord.

Début août 2013.
Elle précipite sa visite, elle vient d'acheter un vol sur Korean Air et me dit arriver dans quelques jours à Paris, elle a aussi son billet TGV pour Dijon. Elle veut me rencontrer.
Seule. D'accord. Je lui prépare une chambre.

Etrange de retrouver sous son look "K-Pop" et ses mimiques très "petite dame" une personne que je n'avais connue que dans la peau d'une collégienne, neuf ans auparavant. La reprise de contact a eu lieu sans aucun souci, comme si on s'était quitté la veille. Elle m'a reconnu, j'ai retrouvé un peu de ses traits de gamine... la même vivacité intellectuelle, la même envie de dévorer la vie.
Nous avons beaucoup parlé... de tout, sa vie, ma vie. En anglais, en coréen, quelques mots de français le dernier jour.
Cinq jours pleins : initiation bourguignonne standard, messe de l'Assomption à la cathédrale - elle s'affiche résolument catholique - balade à vélo, échanges culinaires, une journée à la forêt avec Michel et les siens dont ses petits-enfants américains, pratique de l'ipad, vifs conseils sur le ménage à faire ici, évocation des extravagances évangéliques de sa cousine à Londres comme on en croise à Séoul, quelques pages en coréen de ce blog... L'échange de cadeaux c'était : des T-shirts 대한민국 contre une planche à découper fabriquée à sa demande dans du merisier de Villeberny, gravée à ses initiales YR.
Elle veut revenir pour conforter ces expériences, et profiter du bien vivre à la française. La maison lui reste ouverte, comme à Hyejin.

A la limite de l'indiscrétion, je dis ici la motivation de sa visite : faire le point, à l'heure d'une décision importante, loin de la pression de sa famille à elle et de celle de son "fiancé", auprès de quelqu'un en qui elle avait eu confiance d'emblée, même neuf ans plus tôt, même à l'autre bout du monde !
Ceci me touche beaucoup, et me conforte dans ce rôle que mon entourage m'attribue... qui renoue avec celui de 신부님 forever que je lui ai dit avoir été. A mon sens rien d'incompatible avec le plaisir d'une présence féminine épisodique et aimante, à même de rééquilibrer ma vie. Se faire la bise ne la surprend plus.
Ici, la seule photo d'elle qu'elle m'a autorisé à afficher :


Les deux sœurs se sont rejointes à Paris. Elles rentrent maintenant à Séoul. Leurs parents m'y ont invité.
Promis, j'irai les revoir au printemps prochain... tout comme Young-In et Young-Joo, Mira et Yura et leurs parents et grands-parents.

Yeri aussi était de cette BBQ-Party à Goniang.
Onze ans à l'époque, je me souviens qu'elle aurait bien voulu sa part de la conversation accaparée par son aînée. Son anglais était trop débutant.
Il y avait aussi la petite dernière Hyeri, un an, que j'avais revue quelques années plus tard entre papa et maman au restaurant de la maman de Yuna.

C'était donc Yeri qui s'était annoncée la première à Velars.

Elle débarque directement de Séoul, le 12 juillet. Le retard de son avion à Roissy lui fait rater sa correspondance TGV directe. Douée, et chanceuse - la SNCF ayant multiplié les rames de vacanciers à la Gare de Lyon - elle parvient à Dijon où je la cueille avec seulement une heure de retard.

C'est son premier voyage en Europe, presque six semaines.
Tout est organisé : ses billets de train, ses hébergements, de Londres à Milan, en passant par l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, la Suisse. Et le bouquet final à Paris.
Capables de tout ça à vingt ans ! Ils sont trop forts, ces Coréens !

Je suis flatté qu'elle ait choisi de commencer par quelques journées bourguignonnes.
Deux conseils que je lui donne : attention aux pickpockets partout en Europe, et éviter les tenues par trop affriolantes. Celles-ci passent à Myeong-dong, ça va sur nos plages, ça lui attirerait des ennuis ailleurs.

Sa présence guillerette est un plaisir. A la maison, à la cuisine, à la forêt, à l'ipad, au restaurant, à vélo, en balade, en touriste... sauf qu'habillée si léger elle prend froid sur la pelouse du Lac Kir en attendant le feu d'artifice du 14 juillet !

L'anecdote indélébile c'est Ronchamp. Ses études artistiques lui commandent une visite là-bas.
Elle préfère dessiner plutôt que de se mêler à la visite guidée entre francophones. Je lui ménage cependant un quart d'heure en tête à tête en anglais avec le jeune guide français... si gentil... si beau... si attentif... si charmant...
 
 
Charmée !

19 février 2013

설날

Seollal en son pays, ceci me manquait.
Et aussi d'expérimenter l'hiver coréen. Pour ça j'ai été servi : débarqué à Incheon le jour le plus froid de l'hiver - depuis longtemps, disent-ils - soit le 7 février 2013. La mer entre l'aéroport (latitude de la Sicile) et le continent était gelée !
A Busan ça allait un peu mieux, le thermomètre affichait -10°C.

Quelques flashes que je vous fais partager :

- Merci d'abord à Benoît, à son épouse toujours aussi attentionnée, à la famille des beaux-parents qui m'offrent chez eux un avant-goût de Seollal autour de poissons crus... et des chocolats du Duty Free de Roissy. Un prochain voyage à Velars - et plus - de tout ce monde commence à s'envisager sérieusement... même si la famille pourrait bien s'agrandir. En tout cas ça dirait aussi comme vont bien les affaires de Benoît, désormais créateur-associé de hakwon.
Benoît m'explique aussi comment sa double nationalité sera bientôt acquise, faveur faite aux adoptés revenus au Pays du Matin Cool.

La télé (KBS ou d'autres chaînes) diffuse en boucle les trois uniques sujets suivants :
- le froid : images de tuyauteries gelées, de compteurs d'eau éclatés... mais aussi quelques panoramas étincelants,
- les bouchons de Seollal sur les autoroutes ; ça coince encore plus que chez nous parce que chacun se fait un devoir de partir, chacun se trouve une parentèle à l'autre bout du pays chez qui s'évader... dans des bagnoles de plus en plus énormes,
- la pression va-t-en guerre contre le dingo du Nord et ses joujoux nucléaires. Mais les Sud-Coréens y semblent indifférents... tant que la Chine appuie de tout son poids économique et politique sur le couvercle !

- Le Seollal de la famille WON se passait à Mokdo, hameau de Hadong (GN), tout comme les Chuseok auxquels j'avais déjà participé : même matériel rituel, abondance de mets préparés depuis plusieurs jours par les deux belles-filles des grands-parents WON, à base de poissons et autres fruits de mer, gâteaux de riz... tokguk et autres potages... les bols de riz avec les baguettes posées dessus en travers comme il est de rigueur pour inciter les mânes des ancêtres à prendre part au festin du premier matin de la Nouvelle Année.
Yukyoung était là, mais restait en retrait. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m'a répondu franchement ce que je pressentais : "C'est du chamanisme ; ma nouvelle qualité de chrétienne m'oblige à rester à l'écart". J'ai approuvé. Elle sera baptisée dans quelques mois. Dans une Eglise avec - j'espère - les pieds un peu plus sur terre que les Evangéliques auprès de qui sa sœur plane à Londres.
Est venu le "sebae" auquel elle a participé : échange d'enveloppes contenant de l'argent. Avec un certain sourire, car ces billets ne font que tourner.
Un seul hanbok, porté par la récente belle-petite-fille du grand-père WON, dont la rondeur abdominale annonce à tous la survenue imminente de la quatrième génération. Il pourra s'endormir en paix, la pérennité du nom semble assurée... si c'est un héritier mâle !

- L'après-midi et le soir, visite à la sœur cadette de YunaOmma et son mari à Yeoncheon (GB). J'avais accueilli les deux sœurs et Yukyoung en 2005 à Velars et à la forêt. Le lendemain matin, lundi férié, les trois dames vont au sauna, les trois messieurs poussons jusqu'au point le plus oriental de la Corée continentale, voir le soleil levant... et presque Dokdo depuis le Musée du Phare et de l'Aide à la Navigation (fort intéressant).
Au retour, au marché aux poissons de Pohang, HeeJinAppa nous trouve deux magnifiques crabes royaux pour le festin de midi.

- Mardi matin, depuis Hadong, Yukyoung retourne à Busan. L'obligation d'y subir encore longtemps des examens médicaux semble ne pas l'affecter. Cette fois-ci elle n'hésitera pas à manger les chocolats que je lui avais apportés de Paris ! Je reste au Geumseongshikdang, pour un peu de service, un peu de tourisme... et encore me laisser inviter à la table des clients.

Vendredi, à mesure que le bus remonte de Hadong vers Séoul au Nord en contournant Jirisan par l'Ouest, les traces de neige se multiplient, jusqu'à bientôt recouvrir entièrement le paysage.
A Séoul, Myeong-dong est encombré de tas de neige. Pas plus que la bise glaciale ça ne décourage les agasshis-vendeuses-poupées-K-pop de harceler le passant... Combien sont-elles payées pour subir ce martyre avec le sourire ?
En haut d'Insadong je retrouve le restaurant déjà fréquenté l'an dernier pour me réchauffer d'un excellent galbitang. Surprise : le patron me demande si je suis Shimbunim ? Au cours de ces douze jours coréens, ils auront été trois à me poser la même question. Pourquoi ? Parce que solitaire, peut-être, ou parce que je cherche au maximum à converser en coréen, soucieux de respecter leurs marques de politesse ?...

Samedi, retrouvailles avec Cia et Noa, leur père et leur mère. Young-In a été prévenue trop tard du rendez-vous. Elle ne peut s'absenter de son travail. Dommage, je ne la verrai pas à ce voyage. Mais elle est moralement présente quand Young-Joo et Jae-Hyun m'expliquent leur évolution spirituelle. Le séjour à Naesosa ressuscite soudain. Mais - palli-palli - il faut se quitter.

Car Yura, la sœur de Mira m'attend à Myeong-dong. Métro. Et là a lieu une scène mémorable : depuis quelques mois elle apprend le français, elle a son manuel "grand débutant" à la main pour me le prouver ; et assis côte à côte, nous commençons à feuilleter les pages et à entrer dans les dialogues pédagogiques, qu'elle lit en français en me demandant de rectifier, pendant que je déchiffre les consignes en coréen. Stupéfaction des usagers du métro qui font soudain cercle autour de nous : improbable dialogue entre une jeune Coréenne en français et un respectable Français en coréen !
A la descente, ses parents et Mira nous attendent en voiture, pour aller à Yangpyeong (GG) sur le Hangang du Sud, où habitent les grands-parents. Lui est professeur à la retraite, mais reste très professeur... un peu comme moi ! Il veut m'enseigner les merveilles locales, notamment le temple Yongmunsa, avec son ginkgo dont la légende assure qu'il aurait 1500 ans... ça en ferait le plus vieil arbre de Corée, voire du monde ! Pourquoi pas ? Convaincu par notre enthousiasme à la balade malgré la neige et le froid - les sommets du Gangwon-do se rapprochent - il me fait promettre de revenir l'an prochain au printemps, de dormir chez eux ; et nous irons tous les deux gravir la montagne. J'ai accepté, ça me rappellera Albiez, et ça me changera de la compagnie féminine. N'empêche, j'aime bien Yura !
Avant de rentrer sur Séoul, comme dessert du dîner au restaurant, et pour finir en beauté la journée, Mira nous sert la tarte aux pommes de sa fabrication, preuve qu'elle avait bien intégré la leçon de cuisine à Velars... signe aussi que les fours commencent à équiper les cuisines familiales en Corée, tout comme les auto-cuiseurs de riz chez nous !

Dimanche matin, rencontre avec Hee-bae, qui fut de mes élèves il y a deux ans à Dijon avec Mira et Eun-Hye. Le sujet sur la table avec elle, c'est : quel bon âge pour se marier, quand on veut aussi avoir "profité de la vie", avoir eu une carrière professionnelle, échapper au statut de housewife, mais quand même faire un (deux au maximum) gamin(s)... parce que l'on comprend bien cette nécessité sociale ?

Et, de midi jusqu'au soir rencontre à Myeong-dong avec Jean-Michel, son amie Gayeon, Maud, Edouard, Jérémie, et Areum ; tout ce petit monde connu autour de l'Association des Coréens et sympathisants à Dijon. Tous tentant une insertion professionnelle, sociale, familiale, - amoureuse ! - en Corée, avec des fortunes diverses, dont ils me font part, mais qu'un minimum de discrétion m'interdit de détailler ici.

Le bouquet final du week-end,... de mon séjour coréen,... et de l'hiver séoulite aura été cet étrange spectacle de l'incendie au pied de la Tour Jongno, contemplé depuis le parvis du pavillon Bosingak, à deux pas du restaurant poulet-bière de circonstance choisi pour finir la soirée à la coréenne.

Arrivé à la maison lundi soir grâce au taxi de Young-Ok, celle-ci résonne encore des airs de Chopin que Hye-Jin avait joués toute les nuits... C'était son Seollal en France !

PS : quelques photos devraient bientôt s'intégrer à cette page.

11 janvier 2013

한국어 - français

Demain matin je dois rencontrer Soyeon à Dijon.
Elle avait questionné Sun-Ju : qui, parmi les Français d'ici, pourrait l'aider à travailler son français ?
Comme bien souvent, la demande m'a été répercutée.

Pour mémoire, voici quelques-unes de ces péripéties :
- Gee-Eun, la première, pour relire et corriger sa thèse de doctorat en philosophie ; ça avait nécessité plus de trois ans de travail acharné ; pendant ces années la Corée n'était plus qu'à un quart d'heure de vélo de Velars-sur-Ouche.
- Young-Ok, même objectif ; six mois ont suffi car son mari Jean-Luc avait bien avancé le travail. Depuis, la Corée s'est encore rapprochée de chez moi.
- Keum-Ju, c'était pour son mémoire de Master il y a cinq ou six ans quand elle et son mari Nori vivaient leur première année de mariage en Bourgogne. J'ai hâte de les revoir une fois de plus à Paris, leur laisser me raconter leur évolution professionnelle, et essayer mes bribes de coréen avec leurs enfants Gabriel et Raphaëlle (cf aussi un peu plus haut dans ce blog).

Puis, les échanges ont pris une autre forme : des répétitions en langue française auprès des étudiantes coréennes inscrites en FLE à l'Université de Bourgogne en amont de formations qualifiantes dans le domaine vini-viticole, les beaux-arts, l'architecture, le design, certaines visant même l'interprétariat.
Vous le constatez, ces contacts sont uniquement féminins... à la seule exception de KOH Young-Joon, le musicien, qui continue à me solliciter depuis Montréal pour des réécritures de lettres de motivation ou autre candidature.
Il y a deux ans c'étaient, entre autres :
- KIM Heebae, YU Eunhye, LEE Mira. Les rencontres hebdomadaires avaient lieu à la Résidence des étudiants étrangers de Dijon. Après leur retour au pays, l'aide au français a continué par mails ; nous nous sommes aussi retrouvés à Séoul. C'est une grande fierté, me disent-elles, de converser en français au milieu de leurs copines...
Et Mira avait pu mettre en pratique ses nouvelles capacités linguistiques en assurant la communication entre l'administration coréenne et la délégation des sportifs français aux "Mondiaux de Daegu 2011". Je l'avais revue le printemps dernier à Séoul, et elle m'a rendu visite ici avec sa famille dans l'été ; elle vient de solliciter un coup de pouce pour se faire engager comme interprète sur la desserte coréenne d'Air France. Eunhye est de nouveau en France, inscrite dans une Faculté parisienne pour quelques mois...

- LEE Chantal-Hyejin (cf quelques pages plus haut). C'est mon bonheur de travailler avec elle : de chez elle à Paris une à deux heures quotidiennes par téléphone ou Skype ; ici quand elle a des vacances, en émaillant les "cours" d'échanges culinaires, de balades à vélo - jusqu'au Château Lamartine d'Urcy -, de shopping, de cinéma, d'escapades à la forêt, de fêtes chez Young-Ok, de longues heures de confidences, et de quelques piqûres de rappel du coréen que j'oublie trop vite... Je reste émerveillé de ses progrès en français : même si son accent trahit une langue apprise après sa langue maternelle et après l'anglais, elle pourrait en remontrer à nombre des nôtres nés dans la langue de Molière.

Demain donc, après nous être accordés par téléphone et SMS - occasion pour moi de jauger déjà l'ampleur du chantier - je fais la connaissance de KIM Soyeon. Je la mettrai à l'aise, je m'attacherai à répondre au plus juste à sa demande et à ses besoins en français, et lui ferai comprendre que je n'attends en retour de sa part qu'un peu de "coréanité".