02 novembre 2009

Yuna, Yukyoung

Daewonsa, le 21 octobre 2009 :


J'ai posé mon sac.

지일 스님 est venue préparer le thé. Un sachet de thé vert ouvert tout spécialement pour célébrer ma visite annuelle : cinq petites tasses successives pour apprécier cinq goûts différents. Et cinq histoires à raconter :

Benoît et sa fiancée à Busan,

Koh Young-Joon, son épouse, et sa musique, à Vancouver,

Yuna Omma à son restaurant de Hadong,

Young-In et ses études à Séoul après Naesosa,

Yuna qui demande le baptême à Londres.


Oui, mi-septembre Yuna m'a annoncé son prochain baptême. Ca a été le typhon dans ce que les Coréens appellent 마음. Bourrasques contradictoires. Trouver un endroit et une oreille attentive pour faire le point. Alors, même si la maman de Yuna n'a pu réprimer une légère moue de jalousie quand je l'ai informée d'une matinée chez les soeurs de Daewonsa, j'y suis allé. Là-bas, les émotions se calment et les idées s'ordonnent :

Joie immense, évidemment. Partager avec ma fille le plus intime du coeur de l'homme. J'avais caressé ça en son temps de la part de Fatima ou de Julie. Mais, depuis que Yuna nous avait confié à Samuel et moi le 18 août 2001 en visitant le temple bouddhiste de Jinju dominant le rocher de Non-Gae, qu'elle ne croyait en rien, je ne pouvais l'imaginer... même si, à l'occasion de célébrations de la Nativité à Dijon, elle avait témoigné d'une bonne connaissance des aspects essentiels de la foi chrétienne, au point qu'elle avait participé pleinement à l'Eucharistie. Le baptême récent d'Orphée - dont elle était aussi - a dû lui parler. Mystère des chemins de l'Esprit.

Mais, quelle confession ? et quelle précipitation ! et quelle pacification dans son coeur brisé ?

Je redoute qu'elle ait été la proie d'une soi-disant "église" évangélique, de celles qui savent si bien capturer les âmes blessées pour les entraîner vers des paradis aussi factices que merveilleux. Pourvu qu'elle ne me raconte pas des histoires de "born again", à l'instar des amies de Bokyoung à Brisbane ! Ici à Dijon, j'avais dû affronter cette plaie, dénoncer les agissements d'un auto-proclamé "pasteur" expert à embrigader les cohortes d'étudiantes coréennes débarquant perdues... pour les embarquer dans une pseudo-communauté évangélique ou régnaient en fait les discours simplistes, les "enseignements" à deux balles, les prières infantilisantes, les interprétations torturées de la Bible, la manipulation, l'ambition, le mensonge et l'hypocrisie... J'étais venu, j'avais participé, espérant y trouver un lieu de vérité spirituelle. Déception !

Vraiment, je veux éviter ça à ma fille. Mais je ne sais pas encore la spécificité de cette confession. Sous le sympathique vocable "chrétien" on trouve de tout : des Cathos de toutes couleurs, des Charismatiques, des Réformés, des Luthériens, des Anglicans plus ou moins éloignés de Rome, des Evangéliques, des Baptistes, des Pentecôtistes, des Episcopaliens, des Presbytériens, des Adventistes, des Méthodistes, ou une soupe de tout ça à l'américaine, des sympathisants, voire des gourous autonomes, des "faith businessmen", des illuminés... Et en Corée, la spiritualité occidentale a suscité un florissant super-marché, les chapelles y sont innombrables et concurrentes, elles rivalisent d'altitude de leurs clochers et autres démonstrations de réussite. A faire pleurer de gêne un chrétien européen !

Une chose est claire pour elle : ce qui primait dans son choix, c'était de trouver une communauté où elle comprendrait le langage de la foi qui s'y exprime, donc une communauté coréenne. Ca avait déjà été le choix de sa room-mate Sue, débarquée catholique depuis Séoul à Londres, puis qui avait erré dans les paroisses catholiques ou anglicanes alentour, jusqu'à trouver son pain dans une communauté "chrétienne" certainement, mais d'abord coréenne. Ce phénomène parle aussi de leur faible capacité d'insertion à l'étranger. Ca me fait douter de l'avenir de Yuna à Londres. Je le lui avais dit.

Ce matin, elle vient de m'avertir que son baptême aura lieu dimanche prochain, à Londres. D'ici là elle travaille sa Bible. Je serai auprès d'elle. Great ! m'a-t-elle dit. Pour l'épauler, bien sûr ! c'est ma fille. Pour participer à la fête... ma plus belle chemise blanche, une croix en or comme cadeau... Mais aussi pour comprendre et pouvoir en parler avec elle.

Et Yukyoung à Busan m'a dit prendre le même chemin. Ca me ferait de la peine de voir les deux soeurs se résigner à une vie de pieuses célibataires. Croient-elles y trouver le moyen d'un bonheur personnel ? Jack T. m'avait dit à Séoul que des filles de Corée entrent volontiers en religion pensant y obtenir le bonheur, c'est leur "deal". Et elles sont légion en Corée ces "Golden Miss", catherinettes plus ou moins résignées qui tentent de sublimer leurs déboires sentimentaux, leur solitude, ou la précarité de leur avenir... quand 우리 나라 manque cruellement de jeunes mamans !

Priez pour elles !


(Haeundae, le 18 octobre 2009)

Yukyoung, regarde bien cette photo !

N'es-tu pas déjà parfaitement équipée pour le Paradis ?