06 novembre 2007

Au commencement...

Hier soir encore, à l'occasion du cours de coréen - ou de sa troisième mi-temps dans le bar à bière du bas de la Rue Berbisey - on m'a demandé depuis quand je connaissais la Corée.

Dorénavant, pour répondre à la question, référence sera faite à ce blog où la légende se fige en vérité historique :

Entre lycéens d'Ampère à Lyon, dans les dernières années cinquante, nous jouions au plus érudit. La géographie revenait souvent ; les atlas nous fournissaient une mine de trésors pour briller le lendemain devant les copains.
Vous avez deviné. Bravo !

Donc, la curiosité m'avait guidé jusqu'à un petit appendice colorié en brun tout au bout de la carte d'Extrême-Orient - juste avant le Japon, trop banal - où ne figuraient que deux noms : le pays et sa capitale en petites italiques accrochées à un point noir.
Quand j'ai demandé : quelle est la capitale de la Corée ? aucun de mes copains de Troisième n'a répondu. Mais, étrangement, depuis ce jour Séoul m'a intrigué.

Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, je me demande comment avaient pu glisser sur notre juvénile mémoire politique les événements qui avaient focalisé sur ce petit pays l'antinomie des deux idéologies dominant la planète après la fin de la deuxième guerre mondiale ?

C'est vrai que la France se remettait à peine du cauchemar indochinois et que la nouvelle arrogance soviétique à Berlin était plus inquiétante parce que plus proche. L'Algérie dont nous revenions juste - papa était militaire à l'époque - monopolisait nos capacités de conscience géopolitique.

Années 70 :

Le hasard des rencontres à la Paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon me (nous) rapproche de Jack T. prêtre Salésien américain affecté à Séoul depuis plusieurs années. Sa mission l'oblige à de nombreux contacts en Europe. Jack nous tient informés de son action dans les faubourgs de Séoul, notamment la construction du "Don Bosco Youth Center" dans le quartier de Yeongdeungpo, structure d'accueil et de formation professionnelle pour jeunes en difficulté.

Août 1973, c'est Jack qui nous engage à découvrir la Corée...
Les souvenirs de ce voyage foisonnent : la folle envie de communiquer avec tous ces gens... Anyong-haseyo, Kimchi-juseyo, Gamsa-hamnida, Tabang, Agassi, Noktcha-juseyo, Olma-heyo... la majesté de NamDaeMun, le shopping pressé sur Myeong-Dong déjà, la course effrénée des bus, la pauvreté partout, leur farouche volonté de s'en sortir, de rattraper le Japon, de conquérir l'Occident... les cohortes de touristes japonais à Pulguksa, le typhon à Mokpo, la plage immense et vierge à Haeundae, la DMZ plus armée que partout au monde, le mess des officiers américains dont les enfants bilingues à six ans accompagnaient les mères sur les marchés pour la traduction... Et le sourire des coréennes.

15 août 1973 :

Jack et d'autres collègues nous conduisent à une journée de vacances standard sur la plage de Sorokdo. Aujourd'hui encore les Coréens sont discrets sur cette petite île, à cause de l'hôpital pour lépreux.
Ce jour, la plage était à nous seuls :
Matin calme de lendemain de typhon, mer parfaite, méditation attentive sous les pins... mais soudain là-bas un peu à l'écart du groupe des Européens une des deux jeunes agassis perd pied. On me dit qu'elle ne sait nager que depuis la veille ! Le réflexe de surveillant de baignade cingle : mieux qu'à l'entraînement, je bondis, cours, plonge, nage jusqu'à elle, passe en-dessous, la saisis sous le menton. Elle ne se débat pas, elle a confiance, elle se laisse faire. Nageant sur le dos je la ramène sur la plage.
Nous ne disposons d'aucun mot commun, ni coréen, ni français, ni anglais pour nous dire quoi que ce soit. Elle s'assied, elle retrouve ses esprits, elle ne retournera pas au bain, je reprends ma méditation.
Une demi-heure plus tard, le pique-nique est prêt : tapis sans le moindre grain de sable, vaisselle magnifique ; ce qui est à consommer froid est froid, ce qui doit être chaud est chaud. Song-Ja - on vient de me redire son prénom - me fait signe de prendre place à côté d'elle. Elle me sert comme l'ont appris les Coréennes (merci Confucius !) : ce que j'aime, elle l'a repéré, elle le prépare, elle me le présente au bout de ses baguettes... Le Paradis !
Je lui donnais 14 ans. Impensable d'imaginer quoi que ce fût de plus que le souvenir.

Fin août 1973 :
Kimpo (seul aéroport de Séoul jusqu'en 2001). Fin des vacances. Déjà dans la file d'attente pour l'enregistrement des bagages. Deux des jeunes filles du Centre de Jack déboulent avec leurs cadeaux : pour moi ce couple de poupées en bois tourné peint.
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"Belladetta", merci, et bravo !

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